Forum Social Local du Gard

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2 ème Journée FSL Gard du 17 Novembre 2012
Atelier Urgence démocratique

Introduction :

Organisation de l’atelier – demande de trois volontaires : 2 preneuses de notes, 1 régulateur de la parole et gardien du temps.

Paroles d’Afrique : « C’est urgent oui mais est-ce que c’est important ? »
Notre réponse, c’est oui. Comme il y a urgence écologique, il y a urgence démocratique. Mais l’urgence n’exclut pas la patience à l’égard de nous-mêmes et à l’égard des autres. La précipitation, l’impatience, la dramatisation  perturbent la prise de conscience et l’action autant individuelles que collectives.
Par ailleurs, nous avons à apprendre à débattre et à prendre des décisions. Cela prendra un certain temps. Nous ne savons guère le faire, car dans la démocratie présente, on n’a à décider de rien. Sauf à déposer périodiquement un bulletin dans l’urne et à abandonner ce faire-ensemble.

F Hollande (la gauche au pouvoir) : vous avez un droit fondamental et absolu à manifester (contre le projet d’aéroport à ND des Landes). C’est important en démocratie. Cette même démocratie nous a désignés pour prendre les décisions et assumer les responsabilités à la tête de l’Etat. C’est ce que nous ferons en construisant cet aéroport important pour la région et le pays tout entier.
Bref, ce sont eux qui décident et pas nous. Logique, puisqu’on les a élus pour cela.
Sarkozy (la droite au pouvoir) : les minorités qui manifestent ne comptent pas. Ce ne sont pas quelques extrémistes qui vont empêcher ce grand projet pour Nantes et pour la France.
Le mépris clair en plus.
  
« C’est pas normal, mais c’est pas grave ».
Autre parole africaine qui nous amène à dire que la question démocratique est aussi grave qu’urgente. La démocratie actuelle n’est plus seulement « le moins pire des systèmes », elle est désormais une caricature de démocratie qui nous emmène vers les régressions et les catastrophes. Elle est de pire en pire.
Or étant le nœud du système, elle est en conséquence le nœud des changements souhaitables.

Une seule illustration : la montée du vote FN. D’une certaine manière, ses électeurs nous rendent service, car ils nous disent qu’il faut sortir de cette démocratie qui nous ignore, nous démoralise, nous indigne ou nous met en colère. Par absence d’une culture politique permettant d’envisager une autre démocratie mais aussi par conditionnement (médiatique essentiellement), leur juste colère les amène à céder aux sirènes de l’extrême droite et au choix non juste d’un régime autoritaire et nationaliste.
Ceci dit, ne dramatisons pas à outrance le phénomène. Oeuvrons plutôt à changer le système et sa démocratie, c’est-à-dire à s’attaquer à la racine du problème, seule voie pour réduire toutes ses conséquences plus ou moins graves.

La démocratie représentative est bien le régime politique du capitalisme, sa superstucture (Marx), le nœud du système (John Holloway), la main politique imposant le diktat du marché capitaliste aux peuples. On a trop tendance à oublier cela aujourd’hui sous l’effet de la pensée dominante et finalement unique, puisque partagée désormais par la gauche, toute la gauche qui est partie prenante de la compétition électorale.

1er temps de l’atelier – Bilan de la démocratie actuelle.

Dérives permanentes : le rouleau compresseur, l’empilement des excès et l’arrogance de plus en plus visible des grands profiteurs.
Exemples de quelques dérives ou mensonges continuels :
- la frégate militaire argentine menacée par un état africain sur demande d’un fonds vautour privé localisé aux îles Caïman et réclamant ainsi une dette à l’Etat argentin.
- les mensonges des responsables occidentaux, états-uniens mais pas seulement, lors de la préparation de la guerre contre l’Irak. Mensonges relayés par la plupart des grands médias bien plus en connivence avec les mensonges d’Etat, dans une logique de manipulation et d’abus de pouvoir qu’en situation d’éthique professionnelle ne serait-ce que minimale.
- les OGM comme le nucléaire et le gaz de schiste nous sont imposés malgré les sondages largement défavorables et ceci quelles qu’en soient les conséquences et les catastrophes présentes ou prévisibles.
- La biodiversité, la santé des populations et la survie même sont reléguées au second plan et sont menacées par  l’absolue priorité faite à l’économie de croissance, à la logique du profit et à celle du pouvoir dans la démocratie actuelle.



1er échange collectif :
Partout, les élites font les mêmes choix et la même politique sans consultation ni proposition d’une autre voie, comptant sur un effet d’impuissance des populations. Que peut-on faire pour que ça change ?

On fait partie d’un système mondial où les intérêts financiers et les actionnaires décident. Ceux du peuple ne peuvent s’exprimer. Par ailleurs que peut un pays puisqu’aucun ne peut se dissocier du monde.

Est-ce que nos élus sont prisonniers de ce système dérégulé ? Non, car ce sont justement eux, gauche et droite, qui ont partout opéré cette dérégulation à la fin des années 70 et début 80. Et ils poursuivent cette politique délibérée.
La démocratie actuelle n’est que la vitrine en trompe-l’œil du capitalisme s’étendant et dirigeant le monde. Voir le cas de Goldman Sachs souvent cité et ses connivences absolument indiscutables avec le monde du pouvoir.
Nous sommes fascinés voire subjugués par les dimensions qui nous paraissent hors de portée. Nous sommes conditionnés à nous sentir écrasés par le gigantisme. Big is beautiful. La fabrique du consentement consolide cette intériorisation du sentiment d’impuissance.
La mondialisation, c’est la logique du capitalisme mais elle fait sans doute partie d’un projet politique élitiste qui vise à réduire obstacles et oppositions que la démocratie permet encore.
On nous fait oublier que les fragilités de l’édifice augmentent aussi avec sa taille. Que cela ne retire rien à notre pouvoir de nuisance et de création,  à notre capacité potentielle à agir là où nous sommes contre un système néo-totalitaire en construction et au-delà de lui.
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Les élus devraient nous rendre des comptes. Cela pose le problème du contrôle qui doit s’exercer sur eux.

Là est souligné le rôle primordial de la communication et de l’information en démocratie. De même cela pose le problème de la formation du sens critique, de la capacité à aller chercher l’information. Cela renvoie plus loin à notre capacité à toucher d’autres personnes dans une société hyperindividualiste d’individus largement méfiants et séparés les uns des autres.

Rien de tout cela ne fonctionne correctement. Or, on peut en tirer des conclusions radicalement différentes. Soit on considère que nous sommes responsables à cause de notre paresse, de notre capacité à nous soumettre et de notre lâcheté naturelles, soit on considère que l’éducation scolaire, l’influence médiatique, la pensée dominante et l’ensemble du système que forment le capitalisme et la (sa) démocratie représentative, cultivent en nous ces caractéristiques et appauvrissent d’autres potentialités présentes en nous.

Le choix est clair. Soit on critique le système, soit on critique l’humanité.
Soit on évoque une nouvelle unité possible des humains, soit on participe de la division et de la séparation.
Cela détermine évidemment la qualité de notre engagement. Soit on s’engage  clairement dans une opposition au système et dans la construction d’une autre société, soit on le fait mollement parce qu’on attribue une part majeure de la responsabilité aux hommes, du fait de leur médiocrité assez peu réductible (médiocrité des autres, de la masse mais pas la nôtre bien sûr).

A propos de tous les grands projets inutiles, ce qui rapproche tous nos élus à tous les niveaux c’est l’idée de croissance (cœur de la pensée unique).

Plus que cela : la croissance, c’est le processus normal d’accumulation du capitalisme. Or dans le système capitaliste, l’Etat est le garant de sa pérennité. C’est sa fonction. La démocratie représentative fut inventée par la classe bourgeoise (révolutionnaire) pour installer un cadre politique solide à son expansion et à sa domination économique, une superstructure légitimée par le vote du peuple. La légitimation ne pouvant plus désormais être basée sur les deux piliers de l’ancien régime : la supériorité naturelle et héréditaire de l’ordre aristocratique et la croyance que le roi est le représentant direct de Dieu sur terre.
On pourrait exclure de ce constat le pouvoir local, en particulier municipal, surtout dans les communes modestes. Dans les autres, la distinction n’est guère à faire.

Dire par exemple que les marchés financiers ont pris le pouvoir sur les Etats, c’est oublier que ce sont ces derniers qui ont libéré la puissance financière du capitalisme et permis sa concentration et la mondialisation réelle que nous avons.
Puis, faire une distinction entre capitalisme et finance (et cette distinction est fréquemment faite aujourd’hui) est une erreur d’analyse qui participe à notre incapacité à agir à la hauteur des enjeux.
On vise la finance, cette nébuleuse insaisissable en espérant convaincre et nous convaincre que le capitalisme et l’Etat peuvent être vertueux ou acceptables sans cette méchante finance qui pervertit tout.

Notre obsession du réformisme d’en haut qui exclut toute autre possibilité de transformation du système, nous enferme dans une analyse borgne de l’évolution du capitalisme et du rôle central de l’Etat. Il nous pousse à une posture quelque peu négationniste face aux multiples horreurs de l’histoire du capitalisme d’avant la dérégulation financière. La nostalgie des Trente glorieuses keynésiennes, c’est aussi la nostalgie d’une croissance écologiquement insoutenable et responsable de bien des dégâts actuels du fait du décalage dans le temps des effets du réchauffement (des mers et des océans en particulier). C’est aussi la nostalgie de l’exploitation des ouvriers et des cadences infernales.

Au contraire, il faut relocaliser l’économie, reconstruire une économie de circuits courts, une économie maîtrisée qui met en « bonne » relation les humains. Une relation de coopération et fort peu de compétition. Une économie au service des idéaux et des valeurs communes que l’on se donne et non une économie autonome qui nous impose « sa loi et ses prophètes » avec la complicité active des dirigeants politiques.
C’est à cette échelle locale que la transformation démocratique peut effectivement commencer, car c’est là que nous sommes et agissons. C’est bien à nous de faire ce que nous voulons et ne plus subir la politique unique dont nous ne voulons plus.


La démocratie au niveau de la Commune est importante. Or, les élus inscrits dans les commissions ne se rendent pas aux réunions. Par exemple, lors d’une réunion de la commission « déchets ménagers » à la Communauté de communes, un seul maire était présent. Les élus n’utilisent pas leur pouvoir.

La délégation, la représentation créent un effet « normal » d’attentisme et d’irresponsabilité.
Il faut (re)trouver la maîtrise de nos affaires. Démocratie signifie étymologiquement : souveraineté du peuple. On n’a donc jamais été en démocratie. Nous sommes dans un système qui cache sa nature non démocratique derrière l’appellation consensuelle et du coup mystificatrice : « démocratie »  . Il y a là une forme de perversion naturelle de la représentation. On ne devrait plus en attendre autre chose que ce qu’elle est et ce qu’elle produit réellement. Plutôt que nous flageller ou nous accuser de ce qu’elle produit, changeons-là. Contrairement à la croyance fort répandue et sans doute fort suggérée, le réalisme n’est pas dans les actions vaines de recherche et de colmatage de ses multiples fuites. Il est dans un changement radical qui instaure peu à peu une démocratie réelle.

Les élus sont en incapacité de nous représenter et déconnectés des réalités. Exemple de Giscard qui interrogé à l’époque, ignorait le prix de la baguette.
Solution : créer des institutions de contrôle ?

Ce n’est pas l’étymologie du terme « démocratie » qui constitue une erreur. La démocratie est perfectible, mais  au lieu de cela le système actuel la dégrade et en fait une erreur. La montée du vote pour l’extrême-droite trouve là aussi une source.
La démocratie actuelle est un système de pouvoir opposé à la démocratie réelle. Basée non sur l’Homme (la racine et le but) mais sur la croissance économique avec comme but ultime l’argent. Le moyen économique et matériel est transformé en but ultime, tandis que l’Homme n’est qu’un moyen (un outil de valorisation du capital, dit Marx) grâce à son travail et sa consommation.
La démocratie réelle, on la voudrait fondée sur l’Homme. Dans une démocratie digne de ce nom, elle doit l’être.

Les élus sont dans leur grande majorité issus des élites sociales pour ne pas dire de la classe dominante. Cela ne favorise pas la proximité avec le peuple ou en tous cas avec la masse du peuple. La connaissance qu’ils ont des éléments de notre vie quotidienne est forcément limitée. Par ailleurs, les faveurs que le système leur accorde (logiquement), leurs rétributions, leurs privilèges sociaux, leur mode de vie particulier et pour un « certain » nombre le carriérisme et le prestige de leurs fonctions leur communiquent un sentiment de hauteur et de supériorité qui ajoute à cette déconnection des réalités partagées par l’immense majorité de la population. 

Les élus cherchent à bien faire mais la durée de leurs mandats (4 ou 5 ans) rend impossible une vision sur le long terme. Les actions sur le court terme qui visent une réélection occupent tout l’espace.
Les gens censés nous représenter ne font pas les démarches qui permettraient que nous pesions sur les décisions importantes. Problème de la délégation ?

Certes, « des » élus (plutôt que les élus) cherchent à faire de leur mieux. La durée de leur mandat peut être vue à la fois comme trop courte et comme trop longue. Cela dépend de l’angle de vue que l’on prend. Allonger les mandats comporte des inconvénients. Entre autres, accroître encore leur déconnexion des réalités en leur conférant une plus grande impunité, en éloignant la sanction électorale qui est déjà trop rare.
Il semble plus intéressant de considérer que le problème central réside dans l’absence de contrôle de leur pouvoir, absence que le mandat représentatif institue.
Pendant la révolution française le débat entre les partisans du mandat impératif et ceux du mandat représentatif fut vif et quelque peu meurtrier. L’enjeu n’était pas mince. Inutile de préciser que les seconds l’emportèrent, sans doute beaucoup plus nombreux au sein de l’intelligentia révolutionnaire bourgeoise.
Fut ainsi abandonnée l’idée que les élus devaient impérativement, sous peine de révocation par exemple, appliquer le programme pour lequel ils ont été choisis, eux plutôt que d’autres. Au lieu de cela, on aboutit à un type de mandat par lequel « les promesses électorales n’engagent que ceux qui les écoutent ».


La chute du communisme a contribué à l’uniformisation des systèmes politiques. Le système démocratique s’est diffusé à de nouveaux pays. Il s’est donc renforcé. Mais sans concurrent, il s’appauvrit voire dégénère.

La chute du communisme, c’est aussi et sans doute surtout l’échec du grand concurrent unique et du seul modèle alternatif  « clés en mains » au capitalisme et à sa démocratie. Cet effondrement crée un effet de vide et de deuil qui va mettre du temps à se résorber. Le « capitalisme démocratique » bénéficie de ce boulevard mondial qu’il s’est ainsi ouvert et de l’effondrement consécutif de son opposition sociale. Il est donc livré à lui-même, appliquant avec plus de dureté et d’efficacité sa logique d’accumulation et d’exploitation de tout, y compris des dégâts écologiques et humains qu’elle engendre.
Stress, mal-être, pauvreté physique et morale, pollutions font naître des marchés qui exploitent et aggravent les choses.
Une logique d’excès qui ne s’est jamais encombrée d’éthique et de modération autrement que sous la contrainte des mobilisations.


2ème échange collectif : la clé du changement de perspective  se trouve dans les limites qui existent à la fabrique du consentement. Le pari de la démocratie réelle, populaire.

Le verrouillage n’est ni total ni définitif. Le basculement peut se produire à un moment souvent imprévu, du fait de peu de choses.
Ex du projet de golf de Saint-Hilaire : la population semble neutre, pas concernée. Qu’en serait-il si un débat contradictoire avait lieu et si les inconvénients étaient mis au grand jour à l’égal des avantages ? Nul ne peut le dire. Mais dans ces conditions d’informations contradictoires, il n’est pas du tout improbable que l’opposition au projet se développe voire finisse par l’emporter. C’est le pari qu’il faut faire. Celui de l’intelligence collective en démocratie réelle.

Aux Etats-Unis une étude sociologique a demandé aux personnes d’un échantillon représentatif de grande taille de se situer par rapport à de nombreuses questions telles que  la violence faite aux femmes, l’intégration des valeurs écologiques, une implication individuelle dans la société, le développement personnel et spirituel etc..
Cette même étude répétée dans le temps montre que la part des personnes se définissant positivement par rapport à ces sujets et partageant des valeurs progressistes et d’ouverture, augmente sans cesse. De 5% cette population définie comme les « créatifs culturels » est aujourd’hui de 37%, alors que ces mêmes personnes s’estiment elles-mêmes spontanément bien moins nombreuses.
Les gens engagés se sous-estiment toujours quantitativement et cela quelle que soit leur classe sociale.
Une même étude réalisée en France plus récemment donne à peu près le même résultat.

Le phénomène d’ambivalence : empruntée à la psychologie, la notion recouvre une réalité plus globale. On peut par exemple montrer une apparence d’indifférence ou d’adhésion et avoir des sentiments cachés d’intérêt ou de désaccord. Ainsi un sondage a montré qu’on peut regarder TF1, y compris 3 ou 4 heures par jour et dans le même temps répondre majoritairement qu’au fond on n’aime pas cette chaîne.
On peut être paisible et non violent et dire à qui veut bien l’entendre que l’on comprend tel acte de violence de travailleurs d’une entreprise en passe d’être délocalisée, de grévistes exacerbés par les excès de leur direction ou l’avidité des actionnaires, de routiers bloquant l’économie par leurs barrages... On peut vaquer apparemment tranquillement à ses occupations quotidiennes, aller à son travail dans un quelconque bureau du quartier de la Défense à Paris, exercer ses fonctions de cadre supérieur ou de simple employé et dire en passant son soutien aux indignés qui campent quelque part sur  le trajet.

Ceci dit le changement social ou sociétal ne se fera pas sans une transformation de soi, une autre connaissance et une autre conscience. « Connais-toi toi-même si tu veux agir sur le monde ».
Les deux niveaux de transformation doivent s’accompagner. Le développement personnel ne peut justifier (rendre juste)  l’abandon de la dimension collective, de l’intentionnalité d’un engagement politique (ou citoyen) qu’elle suppose. A l’inverse, l’action uniquement tournée vers le militantisme social ou politique, qui fait du changement global une condition préalable à l’émergence d’un homme nouveau, relève de la genèse de notre situation actuelle d’échec et de blocage de notre imaginaire.

Questions posées, constats  et propositions .
- Ne sommes-nous pas complice de cette fabrique de notre consentement ?  
Oui, nous sommes tous complices comme nous sommes tous acteurs et collaborateurs du système. Il s’agit souvent d’une complicité passive parce que l’on peut facilement estimer qu’on n’a pas vraiment d’autre choix que de s’adapter. Cela ne signifie pas que l’on adhère profondément et définitivement au système et que l’on ignore la fabrique idéologique qu’il met en oeuvre.
Nous nous inventons aussi presque tous des petites brèches et des actes dissidents voire rebelles, plus ou moins nombreux et spectaculaires. Nous sommes consentants, mais nous sommes plus que ce consentement ou plutôt au-delà de lui. Celui-ci pouvant être rapproché de notre aspiration à une vie simple, tranquille et, parmi nos potentialités humaines, de notre capacité d’adaptation à ce qui est et à ce qui nous est imposé. Ces potentialités-là ne suppriment pas d’autres potentialités telles que le besoin d’idéal, une certaine capacité de rébellion et d’émancipation (voir John Holloway in Crack Capitalism aux éditions libertalia).

- La parole de l’expert. Nous acceptons la parole des experts (politiques, scientifiques, économiques, techniques...), comme parole d’évangile. Notre éducation nous fait individus dociles faits pour déléguer.
Le scientifique Jacques Testart dit qu’en démocratie, l’expert in fine, c’est le citoyen ou plutôt c’est l’assemblée de citoyens.
La démocratie suppose en effet que l’on considère que le peuple est capable, compétent et qu’il existe une intelligence collective qui lui permet de prendre à une certaine époque les meilleures décisions qui soient (voir en particulier le livre d’Alain Bertho : La politique contre l’Etat).
Evidemment la pensée dominante nous incite à ne pas croire à ce postulat. Elle nous dit qu’il faut laisser le pouvoir aux experts parce qu’ils sont formés pour cela et donc bien plus compétents.
Concernant les experts scientifiques, le mythe de la science neutre dans un monde où l’économie, la recherche de la performance et de la rentabilité dominent tout, est battu en brèche tous les jours. Même le secteur public de la recherche y est soumis, non pas indirectement mais de façon tout à fait directe par tous les dirigeants politiques qui quand ils ne privatisent pas, cherchent les capitaux privés et acceptent leurs exigences ou généralisent les critères de gestion du secteur privé.

Testart précise que les experts sont des informateurs des citoyens pour leur domaine, mais qu’il n’y a aucune raison pour qu’ils aient le pouvoir. Concernant les experts économiques employés par les grands médias y compris publics, on se rend compte en fouillant un peu qu’ils évoluent par exemple dans les conseils de sociétés privées ou que tel chroniqueur, économiste de grande renommée « scientifique », appartient à une association par exemple financée par l’UMP.
Aux côtés de l’absence de neutralité des scientifiques eux-mêmes et des conflits d’intérêt qui se multiplient avec l’intégration de la science à l’économie, une autre raison, dit Testart, c’est qu’un expert consacre la majeure partie de son temps à sa formation d’expert dans un domaine particulier. Il est donc souvent très incompétent dans presque tous les autres domaines, plus incompétent que la moyenne. Il a observé ça, ajoute-t-il, dans le monde des scientifiques auquel il appartient et qu’il connaît bien depuis des dizaines d’années.

Nous sommes dociles tant que notre existence reste agréable, tant que nous percevons le progrès promis comme réel. Nous acceptons alors les inconvénients du « contrat » de délégation aux experts. Nous acceptons leur parole et leur pouvoir.
Lorsque ces inconvénients dépassent les avantages, lorsque le progrès, c’est de plus en plus « régresser » et lorsqu’il n’y a au présent et à l’horizon aucune autre voie visible, le contrat se délite. Or, les experts au pouvoir, quels qu’il soient, nous  martèlent unanimement qu’il n’y a pas d’autre choix. La montée du non-vote (abtentions, non-inscriptions) et des bulletins blancs est un des signes importants d’une « mutation » de la docilité. Le vote désabusé, sans illusion et le vote Le Pen en sont d’autres.

- Le problème avec les experts, c’est que ce sont toujours les mêmes. C’est une des raisons pour lesquelles ils sont de plus en plus contestés et  se multiplient les contre-expertertises.

Faire appel à une nouvelle expertise ou parfois même à une contre-expertise de la contre-expertise, c’est davantage une fausse solution à un vrai problème, une fuite en avant qui ne résoud rien. Or, le problème a sa source dans le fait que les experts n’ont pas à avoir le pouvoir. Qu’ils ne sont ni neutres ni plus compétents. Donner le pouvoir à des contre-experts ne change fondamentalement rien aux problèmes engendrés par le fait qu’on n’est pas dans une démocratie et que cela induit des choix et des décisions qui ne correspondent pas à l’intérêt général, au souhait des populations : exemples des OGM, du tout électricité nucléaire, du refus de la proposition de traité de constitution pour l’Union européenne, de la politique unique de rigueur (ou de compétitivité), etc.

- Quand on participe à mettre un élu au pouvoir, il faut suivre et surveiller ce qu’il fait, assister aux conseils municipaux, s’informer des débats, des décisions et de comment cela s’est passé...
En réalité, la délégation par la pratique du vote de représentants induit une séparation entre l’élu qui n’informe pas le citoyen et le citoyen qui ne cherche pas à s’informer. Séparation et connivence dans les comportements des uns et des autres qui renforcent la séparation.

Nous n’allons pas aux conseils municipaux ou dans d’autres assemblées parce que l’on s’épuiserait rapidement à faire de la figuration. On n’a pas envie d’y passer un temps précieux. Personne ne choisit de perdre son temps de cette manière tout au moins.
Le système est fondé sur notre mise à l’écart du pouvoir et des responsabilités en matière de choix pour notre Cité, notre commune, notre département, etc. La démocratie représentative organise et institue notre passivité, notre désintérêt, en postulant notre incompétence et ce désintérêt. C’est le système qui est responsable de notre passivité, ce n’est pas l’inverse comme on aime à nous le faire penser et dire.
Rousseau disait déjà au 18ème siècle que nous ne sommes libres qu’au moment de l’élection et qu’en dehors d’elle nous sommes des esclaves... consentants aurait volontiers ajouté La Boétie s’il avait encore été en vie à ce moment-là.

Le passage progressif à une vraie démocratie changera(it) la réalité des comportements humains et révèlera d’autres potentialités de la nature complcxe de l’Homme. Les gens deviendront peu à peu et réellement des « citoyens » se réappropriant les questions collectives et le débat.
« L’Homme est un animal politique »... provisoirement en sommeil. Faisons ce pari fort peu risqué face aux vrais risques que nous fait courir une démocratie irréelle et démoralisante.
Outre qu’elles nous concernent forcément, nul doute que les questions de la Cité nous intéressent foncièrement sinon nous passionnent. Surtout si la convivialité accompagne la « dispute » démocratique et la difficile prise de décision.


- Le cas des gens qui luttent pour maintenir leur boulot même si leur usine pollue et ruine parfois leur propre santé, indique que nous sommes pris dans de multiples contradictions.

La priorité est en effet de préserver ses acquis, un confort correct. Cela passe inévitablement par le maintien de son emploi et de sa rémunération. En période de pénurie d’emplois installée, de licenciements et de précarité croissante, ce maintien devient une obsession, coûte que coûte. La préoccupation « citoyenne » ou écologique est forcément reléguée au second plan. Et à la limite, la préservation de sa santé est elle aussi mise au second plan. D’autant s’il y a une famille et présence d’enfants, ce qui aggrave le risque que fait courir une perte d’emploi et une chute de revenus.
Finalement, cette situation de pénurie qui nous enferme dans une plus grande dépendance, un comportement défensif et un sentiment de fragilité, avantage « drôlement » les employeurs, les profiteurs et les tenants de l’ordre ou du désordre du marché capitaliste.

- Autre facette de l’impuissance : on assiste à une concentration du pouvoir et en même temps à sa dilution. Phénomènes qui favorisent la disparition des oppositions. Par exemple à l’agglomération d’Alès, sur 184 élus votants, 150 donnent leur voix à Roustan qui devient une sorte de seigneur régnant « démocratiquement ».

La démocratie actuelle offre là une caricature de ce qu’elle est réellement : une démocratie irréelle et une aristocratie d’un nouveau genre. Historiquement, la bourgeoisie va peu à peu instrumentaliser la révolution pour s’installer au pouvoir et créer un système politique lui assurant le monopole durable du pouvoir et le développement tout aussi durable de ses affaires : le pouvoir et l’argent, la crémerie, le beurre et l’argent du beurre en quelque sorte. La différence avec l’ancien régime aristocratique réside dans l’invention de l’élection. Celle-ci est partout présentée et peu à peu inscrite dans l’imaginaire collectif, comme une rupture et une conquête révolutionnaire.

En réalité, la démocratie représentative montre sans doute davantage aujourd’hui sa vraie nature, dans une situation dynamique de concentration et de hiérarchisation du pouvoir.
Exemple avec les communautés de communes. Le pouvoir s’éloigne des citoyens, échappant à son regard  et au faible contrôle que le système permettait. Alors qu’il siège à la Communauté de Communes et y partage les responsabilités des choix, tel ou tel maire avoue qu’il y perd l’essentiel de son pouvoir dans sa Commune.
A cause de tout cela, l’opposition se réduit.

Cette réduction résulte aussi du fait qu’un élu qui contredirait le « seigneur » démocratique et sa majorité se verrait par exemple privé plus que d’autres de certains financements pour ses projets communaux.

Problème d’idéal : malgré la capacité naturelle de l’humain au rêve (une de ses potentialités), la grande majorité des gens s’interdit de rêver d’avenir et de penser une transformation de leur quotidien.
Par exemple, des personnes d’un collectif (la CEN) oeuvrant à diffuser les valeurs d’émancipation individuelle, de transformation sociale et d’écologie, découvrent avec surprise au cours d’une enquête dans les cités  populaires, qu’à la question : qu’aimeriez-vous voir changer dans votre vie quotidienne, les gens ne savent pas quoi répondre. Pire encore, à la question : de quoi rêvez-vous ou rêveriez-vous, la réponse quasi générale des adultes est : que voulez-vous dire ? Seuls les enfants y répondent facilement naturellement.

- Nous sommes dans un système oligarchique qui place au pouvoir des catégories sociales bien plus homogènes que différenciées et représentatives.
Quelques caractéristiques : c’est un système bi-partiste . C’est un système de manipulation de l’opinion et d’instrumentalisation de la justice.

L’objectif n’est plus d’appliquer un programme promis et choisi par les électeurs. C’est encore moins l’intérêt général. Il s’agit bien plus de durer, d’accaparer durablement le pouvoir, de jouir de la « rente de monopole » qu’il octroie, des avantages matériels et symboliques qui sont d’un plus haut niveau, de faire triompher sans débat véritable sa vision du monde et ses intérêts de classe.

Une des armes utilisées de façon permanente ou récurrente est de diviser pour régner. L’opposition entre le bloc de droite et le bloc de gauche en fait partie. La manipulation de l’opinion par les médias financés par le CAC 40 ou possédés par de grands industriels, tous grands bénéficiaires et partisans passionnés du système tel qu’il est, en est une autre.
D’autres pratiques existent telle qu’inféoder la justice, sous-développer ses moyens,  recourir de temps à autre aux « magouilles » et à la corruption, etc.
Nous sommes 99% ou 70% (voir Michel Cahen in « Les nouveaux prolétaires vous saluent bien »), mais nous sommes divisés et donc dominés.

Face à ce système organisé pour être bloqué et dirigé dans le sens unique de la vision et des intérêts d’une classe sociale, la seule solution est-elle la révolution ?
Avant de chercher à changer de démocratie, qui n’est qu’un moyen, il faut réfléchir ensemble à l’objectif recherché, à quel projet de société nous voulons ?

2ème temps de l’atelier : Quelles propositions d’actions locales concrètes pour s’engager dans la voie d’une autre démocratie ?
     
- Exemple d’élaboration de stratégies pour défendre les habitants de yourtes, conjointement avec eux. Et au-delà de chaque cas particulier, de participer à l’émergence future d’un débat sur l’accès à la terre et le droit au logement. Un débat pour le moment inexistant à cause du conformisme aux pseudos lois du marché qui se substituent à une nécessaire saisie démocratique d’une question aussi primordiale, que ce soit pour la terre vouée à l’habitat ou à l’agriculture locale.

- Considérer que l’on est concerné par ce qui se passe dans d’autres communes même si on n’est pas local : exemples de l’exploration /exploitation des gaz de schiste ou des projets de golf.
     - Distribuer des informations dans les boîtes aux lettres dans nos communes modestes n’est pas si long, surtout si on s’y colle à plusieurs. Cela permet de toucher beaucoup de personnes.

     - Ecrire des lettres aux élus-es.

- Si 1/5 ème de la population demande un référendum, celui-ci doit être organisé par les autorités (réalité juridique à vérifier : ndlr).

- Un café-repère à Génolhac qui va fêter son second anniversaire et qui a déjà abordé maints problèmes et sujets. Le but est de faire se rencontrer les gens. Cela marche et quelques élus sont aussi présents.
C’est évidemment une initiative parmi d’autres qui va dans le bon sens et qui a aussi l’avantage de se multiplier grâce à l’émission de Mermet qui fait émerger la « communauté » des sans-voix. Une limite réside cependant dans le fait qu’il s’agit d’une « communauté » des « motivés » de gauche qui met à distance, par nature, tous les autres. Il peut être important de regrouper et de donner un sentiment de force aux gens de gauche, mais en cela ces cafés- repères entérinent une division entre population de gauche et population de droite.
Cela est-il la meilleure voie sachant à quoi cette division historique a abouti aujourd’hui ?

- Souvent, il y a obligation d’aller dans un rapport de forces. Celui-ci est donc à construire. En amont il y a la nécessité de construire du collectif. Seules les mobilisations ont permis d’infléchir des décisions et des projets éloignés de l’intérêt général, de conquérir des droits et des progrès sociaux.
Voir l’histoire des mobilisations ouvrières qui sont à l’origine de l’essentiel de nos droits et protections sociales collectives actuelles (en voie de régression depuis une bonne vingtaine d’années, régression à relier à l’effondrement de cette puissance populaire en grande partie du à la construction politique de la mondialisation dérégulée des marchés et de la concurrence qui en résulte entre les peuples).
Exemple présent des activistes de « fix my street » qui incitent les élus à un rapport « donnant-donnant » avec les citoyens, qui suscitent un espace de collaboration et de dialogue : E a besoin de C pour savoir quoi faire et agir et C a besoin de E pour l’aider à réaliser son action/projet.

- Libérer la parole....

- Faire partie du conseil municipal :
.  soit en créant une liste (stratégie utilisée dans les années 80 à Vandoncourt dans le Haut-Doubs) et en élaborant une stratégie électorale à fort potentiel de succès (questionnaire-sondage auprès de la population transformé en programme électoral).
.  soit en faisant partie d’une liste existante, sortante ou non.
Dans les 2 cas, il s’agit non pas d’exercer un pouvoir représentatif différent mais de construire les actions et évènements mettant sur la voie d’une vraie démocratie directe. Elaborer une stratégie visant à transformer totalement l’exercice de la souveraineté. L’équipe municipale jouant alors comme à Vandoncourt un rôle d’animatrice, d’organisatrice et de coordinatrice des initiatives et des décisions des différentes commissions de personnes volontaires de la commune et de l’assemblée des citoyens.

  Organiser des évènements conviviaux variés qui recréent du lien dans sa commune et qui en donnant l’envie de sortir de chez soi et d’apprécier l’échange avec les autres, participent d’un cheminement vers une vraie démocratie communale. Ceci pouvant se faire en dehors d’une appartenance au conseil municipal ou en son sein. Dans ce dernier cas, d’autres initiatives sont possibles, grâce à la communication favorisée par l’existence du bulletin d’informations municipales et grâce aux autres moyens des mairies.
 Notre information, notre co-éducation au rôle de citoyen et notre apprentissage des responsabilités et des pratiques de discussion et de prise de décision, se feront d’autant mieux si l’esprit de fête est présent.
Les personnes intéressées par ces actions, quelle que soit l’une ou l’autre des modalités, peuvent contacter maxime.vasseur@hotmail.fr
Il parait en effet très souhaitable de commencer à échanger les idées et les actions déjà existantes. Puis par la suite,  de mutualiser les expériences et les leçons que l’on en tire. L’échange régulier assure aussi un soutien fort bénéfique à qui serait un peu isolé dans sa commune. A défaut d’élaborer peu à peu une méthodologie de démocratie directe, un répertoire interactif de ce qui marche et de ce qui échoue peut constituer une base analytique collective intéressante, formatrice et incitatrice.

 - Jacques Testart a initié l’association « science citoyenne » qui par ses réunions, ses conférences et ses pratiques de démocratie citoyenne permet de passer du statut de citoyen passif et dominé à celui de citoyen actif et co-décideur. Elle prévoit aussi un élargissement de la pratique à une population plus importante et l’utilisation des médias en particulier en ce qui concerne la communication des décisions prises.

- Une personne ou un groupe (qui ?) cherche locaux sur Nîmes pour pouvoir faire des réunions, construire des projets collectifs.

- Cultiver la mémoire des luttes antérieures entre autres pour ne pas passer du temps à réinventer l’eau chaude.

Les luttes passées et présentes font partie prenante de la défaite sociale dans laquelle nous sommes enfermés au moins depuis 30 ans. Il s’agit moins de les reproduire telles quelles que de s’inspirer de l’esprit d’émancipation et des valeurs de fraternité qui les ont nourries. Et cela pour inventer d’autres formes de luttes et des projets alternatifs. Inventer aussi d’autres types d’organisation qui soient en phase avec les mentalités et les préoccupations concrètes centrales dans notre 21ème siècle. Il s’agit aussi de modifier l’analyse critique du capitalisme et de l’Etat, de manière à construire des actions efficaces et prenant à défaut le système, en particulier ses bases culturelles et ses lignes de fragilité.